
D’autres vies Roman de Imane Humaydane
Jusqu’au bout de soi-même
Faut-il encore écrire sur le Liban ? Parce qu’« ils disent que la guerre est finie ! Malgré cela, nous aurions encore besoin de beaucoup de haine pour vivre ensemble. Pour vivre la paix, pour que perdurent les familles, que grandissent les enfants, que se relèvent les villes… ». Les écrits s’envolent, la guerre demeure et la mémoire aussi. Partout sans doute et ailleurs encore, vous l’avez rencontré cette image« derrière la maison, les orangers et les figuiers sont desséchés. Seul, un vieux grenadier est toujours là. Il s’adosse légèrement au mur de l’immeuble, criblé d’impacts de tailles variées ».
Depuis un avion Myriam, l’héroïne d’Imane Humaydane sème ses poèmes-télégrammes, ces élégies cartes postales, ses proses voyageuses comme on rend hommage à Beyrouth« Beyrouth est triste, portes closes, comment revenir à elle, moi qui vagabonde d’un lieu à l’autre ? ». Imane Humaydane se retrouve dans cet avion qui survole les villes sans se poser, et élire un port d’attache comme s’il refusait d’atteindre un but, la fin d’un voyage. Imane Humay,en voyageur errant, évoque une nostalgie fugeuse, un même romantisme éternellement insatisfait, le même ennui que l’on épuise au fil des voyages d’exil.
Le roman est ici dans tout ce que la vie d’une exilée nous laisse en panoplie rutilante : Parce que « déménager dans un autre pays et habiter une autre maison ne suffisent pas pour tuer la peur… que reste-t-il quand on a tué la peur ? Reste-t-il la moindre bribe de mémoire ? Ou bien redevient-elle une page blanche ? ». Comment « faire avec » la mort du jeune frère, le père devenu fou, le silence de la mère ? . Une panoplie qui ne voile pas le sentiment qu’en bout de course reste la même petite lumière bien pâle, le même mauve des nuits désenchantées, la même solitude, le même désespoir que le voyage n’épuise pas.
Un chemin qui avance, tortueux vers les mystères et les sortilèges de la mort, de la séparation définitive. Poème de révolte et de désespoir. Le roman « d’autres vies » est aussi un appel : l’attente d’un écho. Et d’une réponse hypothétique. Il y a dans ce roman de la libanaise Imane Humaydane comme un murmure violent, une rumeur puissante qui échappent aux litanies funèbres : à l’effritement des corps, au silence de l’absence, elle oppose une force dont chaque mot est le témoin et dont la beauté aride, féroce, est comme la récompense.
C’est également une blessure, mais plus ancienne, et si mal cicatrisée, qui traverse, comme une vaine ouverte, le roman
d’ Imane Humaydane.
Au fil du roman se déplioe le récit d’une solitude, de l’étouffement, de l’ignorance, et de cette rançon finale de la souffrance : l’immuabilité des pierres, la beauté profonde des paysages, la richesse du semence. Si le roman d’Imane Humaydane parle, soudain, et se dévoile, on hésite même à penser que cela puisse être destiné au lecteur : comme si l’écrivaine, ici, ne se débattait qu’avec elle-même, pour elle-même, comme s’il y avait, sinon de la gêne, du moins de l’impudeur à toucher du doigt, à ouvrir ce livre triste — une veine ouverte promise de n’être jamais vraiment fermée.
FATHI CHARGUI
D’autres vies Roman de Imane Humaydane—189 pages— Gallimard–septembre 2012