Le vacillement du monde — Roman d’Alain Nadaud

Le vacillement du monde — Roman d’Alain Nadaud
 Le plaisir de l’envoûtement 
Le vacillement du monde, d’Alain Nadaud, La tâche aveugle(1980,éditeurs français réunis,réédition Messidor,1990), Archéologie du zéro (1984, Denoël, collection «L’infini»,réédition Gallimard- Folio,1989),L’envers du temps (1985, Denoël,collection «L’infini»),
 L’armoire de bibliothèque(1985,édition Grande Nature),Voyage au pays des bords du gouffre (1986,Denoël,collection «L’infini»),Désert physique(1987,Denoël), L’iconoclaste(1989,Quai Voltaire), Ivre de livres (1989,Ballard), La mémoire d’Erostrate(1992,Seuil),Malaise dans la littérature(1993,Champ Vallon), L’iconolâtre (Tarabuste), Le livre des Malédictions (1995, Grasset), Les Années mortes(2004,Grasset), Auguste Fulminant(1997,Grasset), Une Aventure sentimentale(1999,Verticales), La fonte des glaces (2000,Grasset), Aux portes des enfers (2004,Actes Sud), Dernières nouvelles de l’été (2005, Elyzad), autant de titres que de talents. Toujours prolifique, Alain Nadaud  publie livre sur livre, multipliant les plaisirs de la découverte, détenant  comme toujours la clé de voûte,bien maîtrisée, et le secret bien gardé,jusqu’à la chute, tout en nous offrant une pléiade de sujets, aux couleurs de l’arc en ciel. Un régal !
«Il est devenu commun de saluer l’intelligente facture des romans d’Alain Nadaud comme leur singularité profonde, un argument ingénieux servi par une écriture littéraire talentueuse. Mais ces recommandations l’ont, du même coup, privé d’une large audience, tant les spéculations sur les fins ultimes de la littérature peuvent effrayer. Comme un festin trop riche dont le menu seul rassasie déjà. Ceux qui intimidés n’ont jamais osé approcher l’univers étourdissant de Nadaud ne doivent en aucun cas manquer son nouveau roman… », écrit Philippe-Jean Catinchi dans Le Monde. Ce cri de joie et d’émerveillement à propos d’Auguste Fulminant  demeure actuel face au dernier roman d’Alain Nadaud  Le vacillement du monde,eu égard au plaisir de la lecture que nous éprouvons, à travers les pages de ce roman. Un petit bijou, un joyau !
Il se pourrait bien que le roman historique soit le dernier noyau de résistance à la crise que traverse actuellement le livre. Si tous les titres du genre ne sont pas systématiquement des succès, aucun n’est vraiment un échec. Le public boude volontiers aujourd’hui la fiction psychologique, la romance intimiste, et le roman «à messages» : mais il reste solidement fidèle à ces  épopées littéro- cinématographiques, costumes, décors, chevauchées, et dépaysement assurés. Ultime rempart contre l’inflation d’informations contemporaines, recours idéal contre l’angoisse des temps modernes, le roman historique a en outre l’avantage de ne pas relever de cette culture, dite élitiste, qui condamne malheureusement dans certains milieux les œuvres de Dumas et de Stendhal, de Walter Scott et de Zola. On préfère effectuer un retour en arrière avec Maurice Denuzière qu’avec Balzac, comme si l’auteur vivant avait, sur l’écrivain classique, le monopole de la clarté et le bénéfice de la séduction. Bizarre…
 La troisième dimension
 On constatera que, du Moyen-Age au XIXe siècle, en passant par l’Empire et la Restauration, le roman historique déchaîne la passion des lecteurs.
 D’ailleurs, pour mieux respecter le sens de l’expression, ne conviendrait-il pas d’ajouter à ces livres fleuves —la Marquise des Anges, la Chambre des dames, le Jeu de la tentation, Fortune de France, l’Age de sang, Sinouhé l’Égyptien, la Dame du Nil, les Fiancés de l’Empire, les Demoiselles de Beaumoreau, la Virginienne, Quand surgira l’étoile Absinthe, et l’Empire des fous, — qui drainent souvent plus de sentiment que de style, les plongées historique de ces écrivains pour qui l’écriture est un brillant exercice ?
Bertrand Poirot Delpech dans La légende du siècle, Jean d’Ormesson dans Dieu, sa vie, son œuvre, Jean-Pierre Faye dans les Grandes journées du père Duchesne, Alain Blottière dans Saad, Alain Gerber dans Une sorte de bleu, Erick Orsenna dans Une comédie française,aiment trop la caverne du passé pour ne pas rejoindre l’ardeur et la nostalgie du Georges Walter de Captain Smith ou du Pierre Moustiers du Cœur du voyage…
Car si le roman historique est la panacée des sybarites et des insouciants, c’est aussi le prétexte, pour nombre d’écrivains, à juger le monde contemporain à la lumière des événements qui l’ont précédé. Bref c’est dans cette surprenante, merveilleuse, et chatoyante auberge espagnole que nous vous convions dans cet article, pour y retrouver Alain Nadaud dans son dernier-né «Le Vacillement du monde».
Le roman historique paraît être, à nos yeux,  la troisième dimension de la littérature, une sorte d’échappée dans un temps synthétique, celui de la mémoire, afin de sortir d’une alternative féconde en délices mais aussi en angoisses qui peut se poser au romancier, surtout lorsque celui-ci entend se prévaloir du titre d’historien. Que se passe-t-il en effet ?
 Un ciel pour s’accrocher
 Ou bien il souhaite fuir les racines de l’histoire, s’arracher à ses pesanteurs et à ses geôles, se dégager du passé, dans un élan de liberté pour rejoindre l’utopique : il se plonge alors dans l’universalité des mythes, dans des mondes intemporels, dans les symboles de l’onirisme, dans le foisonnement du lyrisme, dans les ruptures baroques et dans les archétypes d’un cosmique imaginaire. Ou bien perdu soudain dans un monde littéraire qui, comme la Terre, courrait dans les ténèbres vers Alpha de la Lyre, il se trouve détaché des réalités et des logiques, s’éloigne des autres qui sont souvent incapables de le suivre là où il souhaite les attirer et refusent de s’évader dans le surréel ou de se laisser envoûter; lui-même,anxieux de ne pas sombrer dans un territoire romanesque qui l’entraînerait dans les gouffres de l’inconnu et le ferait peut-être basculer dans un pays d’où on ne revient pas. Alors il vire et il revient s’accrocher à son ciel, à sa demeure, à ses livres, à ses connaissances, au temps de l’humaine condition; et pour ne pas être aspiré à nouveau par les tempêtes du rêve, il s’introduit le plus loin possible dans l’Histoire, au sein de l’Antiquité, afin d’y trouver davantage encore nos genèses, nos structures, nos miroirs, nos matrices et nos tubéreuses.
 L’écriture d ’Alain Nadaud se plie à ce mouvement de repli;les épithètes tendent à disparaître,la syntaxe se fait concise et sage ,la cadence latine peu à peu resurgit,rythme le style et lui donne un classicisme dont on ne le croyait pas capable:métamorphose surprenante. Mais il saura bien qu’un jour il aura à nouveau besoin d’un envol,d’un éclatement,et qu’il repartira au loin sur les sentiers de l’ailleurs;il n’ignore pas non plus qu’il reviendra vers notre planète,afin de ne pas succomber aux sortilèges des gravitations universelles d’une imagination trop poussée.
 L’ivresse et le vertige
 Le roman historique ne serait-il pas la troisième voie souhaitée, la troisième dimension possible, le troisième temps plausible afin de ne plus subir l’ivresse et le vertige de ce bercement entre l’Histoire et  le Roman, s’abstraire d’un constant et double arrachement, rassembler enfin l’évasion du roman et la présence de l’Histoire, faire la synthèse entre ce qui appartient  personnellement au romancier et ce qui nous appartient à tous, fixer des personnages, qui auraient sans cela pris la fuite, aux ancres de l’Histoire, les encadrer dans des dimensions chronologiques précises, les faire évoluer dans des décors archéologiques confirmés. Ils garderont, ces personnages tirés de l’auteur, comme l’araignée s’arrache son fil , une substance, une essence où il se reconnaîtrait, mais ils seront contraints de mener une existence soulignée par des dates, marqués par des guerres, inscrits dans des faits, classés dans le synchronique et non plus dans l’uchronique .
 L’histoire de Louis Legrand
 Si le romancier emprisonne quelque peu ses personnages, il joue également avec l’Histoire, il la dompte, il l’entraîne vers ses intrigues, il  la soumet à certains désirs, à certaines volontés de ses personnages; il accouple le roman à l’Histoire, il réunit l’un à l’autre à mi-chemin de son propre parcours créateur.
Ainsi arrêtera-t-il, à travers le roman historique, ce balancement qui le lance sans cesse à deux extrémités, dans un mouvement de va-et-vient intellectuel et spirituel, à la fois incessant, passionnant mais parfois éprouvant. A mon sens, le roman historique est un point d’équilibre exemplaire, un moment de symétrie apaisant.
Une fois encore, Alain Nadaud nous invite à un voyage dans le tréfonds de l’histoire. « Le vacillement du monde », son dernier roman, est une escapade entre le Québec et la France, l’amour et la raison, entre la mesure des plaines et des cimes, des rivières et des fleuves, des latitudes et des longitudes, et la démesure des élans du cœur et  du corps. Que dire donc des mésaventures de cet infortuné personnage Louis Legrand, qui,à vouloir vraiment, s’amouracher de Laure, la fille du marquis de Versac , perdit le sud et le nord, « la boussole », le corps et le cœur. Poursuivi par la haine d’un marquis dont il avait séduit la fille, il ne lui restait plus alors que la fuite, l’arrestation,le jugement, l’entrée dans d’ordre des capucins de Dijon où il se consacra  jusqu’à la fin de sa vie à la construction d’un grand globe terrestre  minutieux et artistique (aujourd’hui conservé à la bibliothèque municipale de Dijon), ainsi qu’à un globe céleste malheureusement détruit lors d’un transport.
 D’un roman à l’autre, Alain Nadaud ne cesse de nous surprendre agréablement, tant au niveau de l’érudition que sur le plan du style. Un rythme haletant, à la limite de l’intrigue policière, à la manière d’un Umberto Eco in « Au nom de la rose ». Un style poétique (la page 50 et suivantes), scientifique où les multiples investigations tendant vers la confection du globe terrestre mènent l’auteur à mêler les sciences des terres et des mers, voire l’histoire et la géographie des mappemondes. Belle enquête en perspective !  Des pages 89 à 92, Alain Nadaud excelle dans l’art de confondre les images, à la manière des cinéastes,tout se joue en transparence et en filigrane ,l’une sur l’autre,l’inquiétude de Louis Legrand à propos de sa belle dulcinée et la description de l’univers,la terre et les astres. Belles images ! Belles réflexions : «il savait que, comme en littérature, on ne perd pas son temps en d’inutiles vérifications, du moment que la vraisemblance n’est point trop malmenée. Ou alors, il faudrait passer des heures à contrôler les propos des romanciers, et pour  y gagner quoi? Pour y déjouer quels pièges au juste ? On connaît trop la duplicité des auteurs, leur propension à nous malmener, à nous entraîner par des chemins de traverse. On fait vaguement le tri, au jugé, et parfois à l’inverse, on se gausse même de leurs erreurs supposées jusqu’à ce qu’il se révèle après coup qu’on avait tort et, eux, raison. C’est plutôt le plaisir de l’envoûtement qu’on cherche, ainsi que celui de se perdre dans les méandres du conte, non pas la vérité, dont l’ironie de l’histoire a montré que, sur les sujets  qu’on croyait les mieux assurés, elle a parfois tourné court. »

 Fathi CHARGUI

 *Le vacillement du monde  — Alain Nadaud – 125 pages – Editions Actes Sud – Février 2006

 

 

Le vacillement du monde — Roman d’Alain Nadaud  9782742758456

Publié dans : Non classé |le 1 octobre, 2012 |Pas de Commentaires »

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