Archive pour octobre, 2012

Les années mortes – Roman autobiographique d’Alain Nadaud

Les années mortes – Roman autobiographique d’Alain Nadaud

 De l’écrire comme exutoire 

 Alain Nadaud n’est plus à présenter. C’est un nom connu sur la place des lettres en France et en Tunisie. Cet écrivain qui, de passage à Tunis,pendant un court séjour, tombe éperdument amoureux de la Tunisie. On ne compte plus dès lors les romans que Nadaud avait écrit entre Sidi Bou Saïd et Gamarth. Et si Nadaud n’avait élu domicile en banlieue nord que pour partir sur les traces d’André Gide et Gustave Flaubert? Heureux homme! On ne compte plus les ouvrages qu’avait publiés cet écrivain à l’imagination fertile et à la mémoire précise. En matière du romans, citons: Archéologie du zéro (Folio), L’envers du temps (Denoël), Désert physique ( Denoël), L’iconoclaste (Quai Voltaire, Prix de l’Union des éditeurs de langue française), La mémoire d’Erostrate (Seuil), Le livre des malédictions (Grasset, grand prix du roman de la société des gens de lettres), Auguste Fulminant (Grasset, prix Méditerranée), Une aventure sentimentale (éditions verticales) et La Fonte des glaces (Grasset). En nouvelles et récits, La tâche aveugle, L’armoire de bibliothèque, voyage au pays des bords du gouffre, Auschwitz en hiver, L’iconolâtre, petit catalogue des nations barbares ( avec des gravures de Dominique Médard et des pâtes de verre de Sadika), Aux portes des enfers (Actes Sud). En essais: Ivre de livres, Malaise dans la littérature. En théâtre : la représentation. L’espace de la classe: lieu de mémoire. On y respire l’odeur de l’encre, et y entendre le claquement des pupitres. Ici, chez Alain Nadaud, la classe devient espace scénique. L’écrivain y projette ses souvenirs d’écolier, de curieux fantasmes et de supplices y sont au programme, tant il est vrai qu’on parle d’internat et de pensionnat, à l’école des pères blancs. Durs souvenirs de ces années mortes et ressuscitées par la magie de la mémoire et de l’imagination. Et puis voici dans le roman intitulé Les années mortes d’Alain Nadaud la photo de la classe, cet Olympe en miniature, dont on se veut toujours, selon son tempérament, l’Hermès, et les plus fats: l’Apollon. Le maître, c’est toujours Jupiter où junon (une belle vache), la mémoire extrêmement fidèle fait ressurgir de l’oubli quelques visages d’enfants animés comme tous les enfants de leur âge. Peut-être même un peu plus, eux aussi. Gais, gais malgré la discipline des maîtres appliquée d’une main de fer. L’écolier Alain nadaud, sûr, il aura son brevet, son Bac lettres, et aussi son diplôme de fin d’études universitaires à Paris, juste après les années de révolte de mai 68. Quelle pourrait être donc l’impression de cet enfant, à l’éducation pure et dure, face à ces événements universitaires? Les années mortes est un roman autobiographique où l’auteur remonte au fil du temps ses souvenirs d’écolier en pensionnat, dont la discipline indescriptible fait barrage à toute idée d’invention et de créativité. Ici, comme le montre Alain Nadaud l’imagination est ailleurs. Ces années mortes demeurent à jamais, chez l’auteur, des pages du passé ressuscitées du tréfonds de lui-même. Les 245 pages du roman agissent sur leur signataire, en quelque sorte, comme un exutoire. Une vraie purification de l’âme, du corps, et de l’esprit, face à un purgatoire où l’internat paraît à travers ces pages un enfer, dont on voudrait enterrer les images qui hantent la mémoire. “Le papier est là, et je me soulage”, disait Gustave Flaubert. Il arrive parfois qu’au détour d’une phrase, alors que rien ne le laissait prévoir, sauf peut-être une fatigue à laquelle nous n’aurions pas prêté attention, l’impression d’avoir déjà vécu la même scène, que l’histoire nous saisisse et nous livre un instant au vertige de nous entendre réciter un texte appris. Et ce défaut de notre habituelle certitude d’inventer à chaque pas notre chemin, nous laisse un instant mesurer à quelle épouvante nous condamnerait l’ordre des choses, s’il refusait un jour de suivre son sens habituel. Car, ne vous fiez pas aux apparences, oui, même dans un roman autobiographique, Alain Nadaud a plus d’un tour dans son sac. Il sait surprendre, ses camarade de réfectoire et ses lecteurs. Le thème de l’enfant, qui depuis quelque temps semble s’imposer dans la littérature et l’enrichir singulièrement, a souvent hanté en Histoire les époques de trouble, les moments où le monde semble être en attente, retenir son souffle, les périodes de jonction entre les décadences, les renaissances et les fins de siècle. On pourrait multiplier les exemples précis qui montrent le jaillissements, d’une manière cyclique, de ce sentiment de messianisme qui habite l’humanité à un moment de son parcours, cette aspiration à un âge d’or vers lequel toute civilisation, emprisonnée dans les âges d’airain ou de fer, regarde et dont l’enfant dans son innocence et sa lucidité est le symbole tutélaire. C’est un beau livre que ces Années mortes où l’écriture ample et sonore ne laisse pas de nous enchanter. Et ici encore, comme dans ses précédents romans, sous la gravité du propos, surgit parfois un regard amusé dont le héros fait souvent les frais et le lecteur ses délices.

FATHI CHARGUI
Les années mortes – Roman autobiographique d’Alain Nadaud–Grasset

 

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Publié dans:Non classé |on 7 octobre, 2012 |Pas de commentaires »

Aux Portes des Enfers — D’Alain Nadaud

 Aux Portes des Enfers — D’Alain Nadaud
 Voyage dans les palais vides de Dis et son royaume d’apparences 

 Il se pourrait bien que le roman historique soit le dernier noyau de résistance à la crise que traverse actuellement le livre. Si tous les titres du genre ne sont pas systématiquement des succès, aucun n’est vraiment un échec. Le public boude volontiers aujourd’hui la fiction psychologique, la romance intimiste et le roman à message, mais il reste solidement fidèle à ces épopées littéro-cinématographiques, costumes, décors, chevauchées et dépaysement assurés. Ultime rempart contre l’inflation d’informations contemporaines, recours idéal contre l’angoisse des temps modernes, le roman historique a en outre l’avantage de ne pas relever de cette culture, dite élitiste, qui condamne malheureusement dans certains milieux les œuvres de Dumas et de Stendhal, de Walter Scott et de Zola. On préfère effectuer un retour en arrière avec Maurice Denuzière qu’avec Balzac, comme si l’auteur vivant avait, sur l’écrivain classique, le monopole de la clarté et le bénéficie de la séduction. Bizarre… L’on constate que, du Moyen Age au dix-neuvième siècle, en passant par l’Empire et la Restauration, le roman historique déchaîne la passion des lecteurs. D’ailleurs, pour mieux respecter le sens de l’expression, ne conviendrait-il pas d’ajouter à ses livres-fleuve qui drainent souvent plus de sentiment que de style, les plongées historiques de ces écrivains pour qui l’écriture est un brillant exercice? Bertrand Poirot Delpech dans la Légende du Siècle, Jean d’Ormesson dans Dieu, sa vie, son ordre, Jean-Pierre Faye dans Les grandes journées du père Duchesne, Alain Blottière dans Saad, Alain Gerber dans Une Sorte de bleu, Eric Orsenna dans Une Comédie française, aiment trop la caverne du passé pour ne pas rejoindre l’ardeur et la nostalgie du Georges Walter de Captain Smith ou du Pierre Moustiers du Cœur du voyage…

Car si le roman historique est la panacée des sybarites et des insouciants, c’est aussi le prétexte, pour nombre de nos écrivains, à juger le monde contemporain à la lumière des événements qui l’ont précédé. Bref, c’est dans cette surprenante, merveilleuse et chatoyante auberge espagnole que nous convie  Alain Nadaud dans son livre intitulé Aux Portes des Enfers. C’est un livre original dans sa conception. Ce n’est pas un roman, ce n’est pas un recueil de  nouvelles, mais une enquête géographique, littéraire et historique tirée de ses recherches rassemblées ça et là dans ses différentes études de livres sacrés et des écrits préhistoriques. Poussé autant par la diversité des témoignages que par leur teneur contradictoire, et fidèle en cela à la conviction de son auteur, cet ouvrage tente de se persuader que ce dont il rend compte a des fondements réels, que ces Enfers — ou au moins leur entrées, ou ce qu’il en reste pour peu qu’elles n’aient pas toutes été obstruées — existent pour de bon. Une sorte de quête à la fois obstinée et désespérée. D’autant plus obstinée que son objet se dérobe à mesure. Et d’autant plus désespérée que jusqu’à plus ample informé, ces lieux ont de fortes chances d’être hypothétiques. D’un côté, parce que les auteurs qui, comme Homère, ont été parmi les premiers à en en évoquer l’existence se sont contredits sur leur emplacement, alors que d’autres, comme Platon, n’en ont détaillé la topographie que pour mieux laisser entendre au dernier moment qu’il ne s’agissait que d’allégories; de l’autre, parce que ceux qui se sont livrés aux descriptions les plus saisissantes ont parfois été tentés d’en rabattre ou de se déjuger… ce voyage «à travers les palais vides de Dis et son royaumes d’apparences» pour reprendre les mots si évocateurs de Virgile, qui eux-mêmes sonnent l’absence et le creux, ne serait-il ni plus ni moins qu’un séjour au pays de la fiction? S’il en était autrement, inutile de dire que ça se saurait! Les agences de voyages en auraient fait depuis longtemps l’une de leurs destinations privilégiées. On imagine sans mal les autocars stationnés sur le parking et les boutiques de souvenirs à proximité de l’entrée! Visite guidée des lieux, avec frisson garanti. Surtout — car cela est sans prix! — si le retour est assuré. Il y aurait là, mis à disposition des foules, tout ce dont elles raffolent : circuler, comme dans le train fantôme d’une fête foraine, à travers des lieux pleins de mystères, et qui font peur; contempler, ainsi qu’au théâtre ou au cinéma, les terribles souffrances infligées à autrui, et frissonner par avance à la perspective de celles qu’on endurera, écrivait Alain Nadaud dans l’introduction de son livre Aux Portes des Enfers.

 

L’itinéraire du désir

 

A ce sujet, Alain Nadaud a raison de plaider la cause des enfers qui, selon l’opinion traditionnelle et commune, ne vaudrait pas le paradis et surtout le jardin suspendu dont la description des plaisirs et des désirs est à l’origine de la légende de la Divine Comédie. Dante a refusé la solution facile de l’anthropomorphisme dans le paradis. Il a voulu décrire l’ineffable et, à ce titre, on lui doit un des plus beaux poèmes mystiques de la culture européenne. Dante serait un cas unique, ne fut-ce que parce qu’il a fait une synthèse sans pareille entre la poésie et la philosophie, entre le savoir rationnel et la mystique, qui, la plupart du temps, ne font pas bon ménage. Il y eut certes de grands poètes, tel Hölderlin, hantés par la philosophie, mais celle-ci s’efface heureusement dans leurs œuvres. Au contraire, la Divine Comédie est une encyclopédie philosophique et aussi scientifique, comme en témoigne la cosmologie du Paradis, et cela n’altère aucunement son génie poétique. Ce grand livre de l’universel, cette recherche forcenée de la globalité dont Claudel a dit qu’elle reflétait le point de vue de Dieu, coïncide avec une subjectivité radicale. Le «je» est toujours présent dans l’odyssée de la Divine Comédie. Celle-ci est une épreuve, une initiation d’abord pour l’auteur. L’expérience de l’universel passe par celle de l’égo. Dante nous fait suivre l’itinéraire du désir, d’objet en objet, du plus terrestre jusqu’au divin. C’est pourquoi la Divine Comédie va du réalisme le plus implacable à la description du divin. A ce sujet, Jacqueline Risset et Jacques Madaule (Dante écrivain ou l’Intelleto d’Amour de Jacqueline Risset — aux éditions Le seuil, Dante de Jacques Madaule — éditions Complexe) ont raison de plaider la cause du Paradis qui, selon l’opinion traditionnelle et commune, ne vaudrait pas le Purgatoire et surtout l’Enfer dont la description des tourments est à l’origine de la légende de la Divine Comédie. C’est tout de même l’écrivain, chez ce personnage prodigieux, qui étonne le plus.

 

Le salut par l’écriture

 

Alain Nadaud y consacre un livre qui fera date. Alain Nadaud accumule toutes les formes littéraires contemporaines, il s’entraîne à tous les exercices pour les remodeler dans un mouvement d’interprétation incessant. La perception du monde est à reconsidérer, tout comme les courants de la pensée avec ses apories et portes dérobées. Une clé d’or : la littérature, zone libre où tout est à réinventer parce qu’il n’y a plus rien à perdre. Les «fins de siècle» ont lu tous les livres et ne croient plus en définitive qu’au salut par l’écriture. Tout dire. Après le romantisme qui a perverti le cœur et l’âme, après le naturalisme qui a dénaturé la vie au nom d’une «vérité» bien suspecte — «La nature a fait son temps», proclame Remy de Gourmont (Histoires magiques et autres récits aux éditions Bourgois 10/18) — que reste-il ? Eh bien l’intellect, le cerveau, des lieux de possession inaliénables, royaumes où l’écrivain Alain Nadaud n’a de comptes à rendre à personne. On ne perd plus son temps à se chercher des légitimités politiques ou des parrainages de circonstance. Il s’agit avant tout de créer, d’élaborer, avec superbe et arrogance, une esthétique purement artificielle en fuyant comme la peste les mots de la tribu. Le symbole devient alors un signe non frelaté, l’idée essentielle. Dans ce rêve du rien, que l’on comble avec du trop plein, c’est le style qui place l’élite sur orbite. Le symboliste, qui n’a pas le sentiment d’appartenir à une école  mais à une confrérie mystique, fera donc de son art un absolu. Dandy du désespoir, il est animé d’une véritable fringale lexicale, d’une débauche du vocable. Il veut en outre sentir croquer sous sa dent le piment du pêché, se repaît des délices de la ressouvenance, souffle voluptueusement sur le brasier de l’imaginaire, et fréquente volontiers des cabinets imprégnés d’encens où les égéries de Félicien Rops et Gustave Moreau révèlent leurs bijoux indiscrets dans d’étranges sabbats. Aphorismes définitifs, métaphores inouïes, lyrisme ébouriffant, clins d’œil d’esthètes, mises en abîmes donnent le tournis. L’extase à chaque ligne et la multiplication des perspectives. Toujours dissocier, pénétrer chaque chose d’une subjectivité sans compromis, aller jusqu’au bout de l’excès et du simulacre, telles sont les règles que s’impose le «dilettante», mot terriblement en vogue depuis bien des années.

 

De la dépravation

 

Pour cela, on ramasse tout ce qui se présente. La mystique catholique ? Du pain bénit, encore qu’il ne faudrait pas aller voir de trop près du côté des autres religions. Les émois sensuels ? De quoi se damner : les femmes ont toute apparence de succubes. Les livres ? A condition de tourner le dos à tous les ouvrages consacrés. En 1908, Rémy de Gourmont confiait à Blaise Cendrars : «Victor Hugo prétendait ne lire que les livres que personne ne lit. J’ai une tendance à la même dépravation». C’est ce qui donne aux décadents cette saveur incomparable. Au x Portes des Enfers est un royaume. A nous d’y aller voir. Du plaisir littéraire comme il en est de rares. Humour garanti. Les dieux s’étant une fois pour toutes retirés dans leurs chambrettes face à la montée croissante, vers la fin du XIXe siècle, d’un tout puissant matérialisme dont on allait bientôt enregistrer les débordements avec l’invention du cachet d’aspirine, de la jarretelle mécanique et, à moindre degré, du chemin de fer. L’Homme moderne devenu ainsi soudainement orphelin, se vit contraint dans un ultime élan de piété d’inventer la Culture qui, très vite, devait remplacer tout à fait avantageusement les déités bégueules qui se voilaient la face dans leur septième ciel. La Culture donc — avec s’il vous plaît un grand C — trempée un peu à toutes les sauces, devint en même temps qu’une mystique de la dernière heure, cette panacée qu’on se plaît à gober tout rond sans demander son reste. Quand il n’en a pas, un peuple s’invente son histoire. Faute de s’appuyer sur un passé mémorisé par des traces, des monuments, une tradition, il fait basculer le moindre incident, le plus petit fait divers, dans cette zone où les mots les prennent en charge, le pare de toutes les séductions du mythe. La guerre de Troie n’était qu’une querelle de marchands qui se disputaient le marché du Moyen-Orient, les croisades ne furent qu’un moyen d’éloigner les féodaux agités et cupides qui s’enrichissaient sur le dos des infidèles, laissant en paix un roi de France qui tentait de structurer une nation sous sa seule autorité. Mais avec le temps, et parce que l’Histoire a besoin de s’alimenter sans cesse, ces razzias sont devenues des faits d’armes. De même que la nature, l’Histoire a horreur du vide. Elle remplit le temps de cette matière vulgaire qu’est le quotidien, pour faire une histoire légendée. Longtemps la peinture fut le plus efficace véhicule de ce transfert idéologique et poétique. De même que l’alchimie voulait faire de l’or avec du plomb, l’Histoire voulait faire de la légende avec du mythe. La conception de l’histoire a changé au nom de la vérité. La perception du passé aussi. Sous un prétexte scientifique, ou nous gave de renseignements. Un souci de vérité s’est substitué au charme parfois naïf des divagations qu’on souffrait à base d’une mise en scène, vraie dans le détail, mais fausse dans le résultat. De pure fiction.

 

Le rivage des mythes

 

Les mythes sont perçus dans l’inconscient collectif comme des trésors. Et c’est vrai, la mémoire mythologique est à la fois la tour de Babel, la bibliothèque borgésienne et le grand murmure des histoires que se sont racontées les hommes pour ordonner le monde. Proverbes, épopées, cosmogonies, contes, légendes, fables, chants d’amour et de guerre, paroles oraculaires. Le mythe flotte partout et est insaisissable. Comme l’écrit l’helléniste Marcel Détienne : «Poison soluble dans les eaux de la mythologie, le mythe est une forme introuvable». Il circule, se transforme et habite l’imaginaire. La mythologie est toujours la fabuleuse caverne d’Ali Baba de nos origines, le réservoir secret de nos histoires fondamentales, le grand rébus de nos songes. Il y a plusieurs façons d’aborder les rivages des mythes. Ou bien se laisser raconter des histoires pour y croire, ou bien chausser des lunettes de bénédictions et se laisser envoûter par les mirages de la science et du savoir. Certains rêvent les mythes; d’autres les stockent. La collecte acharnée des mythes à travers le temps et l’espace a été une activité qui a mobilisé en France quelques-uns des meilleurs esprits. Mythologues, ethnologues, historiens des sociétés anciennes, spécialistes du religieux se sont attelés à la rédaction de centaines de livres des mémoires divines et  humaines. Le merveilleux écrivain et romancier Alain Nadaud s’est senti la vocation d’un chercheur et, avec la volonté d’un fin limier, est allé au fond des fouilles archéologiques, déterrer, un à un, les secrets des énigmes millénaires pour construire, pierre à pierre, ce nouveau temple du savoir qui est aujourd’hui son enquête géographique, littéraire et historique aux portes des enfers. Chemin faisant, Alain Nadaud poursuit ses tribulations. Et chaque année qui passe s’augmente d’une œuvre nouvelle, comme si cet irréductible globetrotter, depuis plus de vingt ans qu’il parcours les chemins des fouilles archéologiques, sanctuaires, stèles, dazibaos ou parchemins, plantait des livres alimentaires (intellectuellement parlant) pour signaler les méandres de ses vagabondages littéraires. Historien, archéologue, traducteur, journaliste, écrivain, humaniste en tout état de cause, c’est en symbiose avec le continent illimité de la préhistoire et de l’Antiquité que l’auteur des Années mortes (Grasset) et Aux Portes des Enfers (Actes Sud/Aventure) trouve de nouveaux sujets de recherche, et ne finit pas d’en découvrir les mystères et de nous les restituer sous des formes diverses.

FATHI CHARGUI
Aux Portes des Enfers d’Alain Nadaud – Actes Sud/Aventures

 

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Publié dans:Non classé |on 7 octobre, 2012 |Pas de commentaires »

Le vacillement du monde — Roman d’Alain Nadaud

Le vacillement du monde — Roman d’Alain Nadaud
 Le plaisir de l’envoûtement 
Le vacillement du monde, d’Alain Nadaud, La tâche aveugle(1980,éditeurs français réunis,réédition Messidor,1990), Archéologie du zéro (1984, Denoël, collection «L’infini»,réédition Gallimard- Folio,1989),L’envers du temps (1985, Denoël,collection «L’infini»),
 L’armoire de bibliothèque(1985,édition Grande Nature),Voyage au pays des bords du gouffre (1986,Denoël,collection «L’infini»),Désert physique(1987,Denoël), L’iconoclaste(1989,Quai Voltaire), Ivre de livres (1989,Ballard), La mémoire d’Erostrate(1992,Seuil),Malaise dans la littérature(1993,Champ Vallon), L’iconolâtre (Tarabuste), Le livre des Malédictions (1995, Grasset), Les Années mortes(2004,Grasset), Auguste Fulminant(1997,Grasset), Une Aventure sentimentale(1999,Verticales), La fonte des glaces (2000,Grasset), Aux portes des enfers (2004,Actes Sud), Dernières nouvelles de l’été (2005, Elyzad), autant de titres que de talents. Toujours prolifique, Alain Nadaud  publie livre sur livre, multipliant les plaisirs de la découverte, détenant  comme toujours la clé de voûte,bien maîtrisée, et le secret bien gardé,jusqu’à la chute, tout en nous offrant une pléiade de sujets, aux couleurs de l’arc en ciel. Un régal !
«Il est devenu commun de saluer l’intelligente facture des romans d’Alain Nadaud comme leur singularité profonde, un argument ingénieux servi par une écriture littéraire talentueuse. Mais ces recommandations l’ont, du même coup, privé d’une large audience, tant les spéculations sur les fins ultimes de la littérature peuvent effrayer. Comme un festin trop riche dont le menu seul rassasie déjà. Ceux qui intimidés n’ont jamais osé approcher l’univers étourdissant de Nadaud ne doivent en aucun cas manquer son nouveau roman… », écrit Philippe-Jean Catinchi dans Le Monde. Ce cri de joie et d’émerveillement à propos d’Auguste Fulminant  demeure actuel face au dernier roman d’Alain Nadaud  Le vacillement du monde,eu égard au plaisir de la lecture que nous éprouvons, à travers les pages de ce roman. Un petit bijou, un joyau !
Il se pourrait bien que le roman historique soit le dernier noyau de résistance à la crise que traverse actuellement le livre. Si tous les titres du genre ne sont pas systématiquement des succès, aucun n’est vraiment un échec. Le public boude volontiers aujourd’hui la fiction psychologique, la romance intimiste, et le roman «à messages» : mais il reste solidement fidèle à ces  épopées littéro- cinématographiques, costumes, décors, chevauchées, et dépaysement assurés. Ultime rempart contre l’inflation d’informations contemporaines, recours idéal contre l’angoisse des temps modernes, le roman historique a en outre l’avantage de ne pas relever de cette culture, dite élitiste, qui condamne malheureusement dans certains milieux les œuvres de Dumas et de Stendhal, de Walter Scott et de Zola. On préfère effectuer un retour en arrière avec Maurice Denuzière qu’avec Balzac, comme si l’auteur vivant avait, sur l’écrivain classique, le monopole de la clarté et le bénéfice de la séduction. Bizarre…
 La troisième dimension
 On constatera que, du Moyen-Age au XIXe siècle, en passant par l’Empire et la Restauration, le roman historique déchaîne la passion des lecteurs.
 D’ailleurs, pour mieux respecter le sens de l’expression, ne conviendrait-il pas d’ajouter à ces livres fleuves —la Marquise des Anges, la Chambre des dames, le Jeu de la tentation, Fortune de France, l’Age de sang, Sinouhé l’Égyptien, la Dame du Nil, les Fiancés de l’Empire, les Demoiselles de Beaumoreau, la Virginienne, Quand surgira l’étoile Absinthe, et l’Empire des fous, — qui drainent souvent plus de sentiment que de style, les plongées historique de ces écrivains pour qui l’écriture est un brillant exercice ?
Bertrand Poirot Delpech dans La légende du siècle, Jean d’Ormesson dans Dieu, sa vie, son œuvre, Jean-Pierre Faye dans les Grandes journées du père Duchesne, Alain Blottière dans Saad, Alain Gerber dans Une sorte de bleu, Erick Orsenna dans Une comédie française,aiment trop la caverne du passé pour ne pas rejoindre l’ardeur et la nostalgie du Georges Walter de Captain Smith ou du Pierre Moustiers du Cœur du voyage…
Car si le roman historique est la panacée des sybarites et des insouciants, c’est aussi le prétexte, pour nombre d’écrivains, à juger le monde contemporain à la lumière des événements qui l’ont précédé. Bref c’est dans cette surprenante, merveilleuse, et chatoyante auberge espagnole que nous vous convions dans cet article, pour y retrouver Alain Nadaud dans son dernier-né «Le Vacillement du monde».
Le roman historique paraît être, à nos yeux,  la troisième dimension de la littérature, une sorte d’échappée dans un temps synthétique, celui de la mémoire, afin de sortir d’une alternative féconde en délices mais aussi en angoisses qui peut se poser au romancier, surtout lorsque celui-ci entend se prévaloir du titre d’historien. Que se passe-t-il en effet ?
 Un ciel pour s’accrocher
 Ou bien il souhaite fuir les racines de l’histoire, s’arracher à ses pesanteurs et à ses geôles, se dégager du passé, dans un élan de liberté pour rejoindre l’utopique : il se plonge alors dans l’universalité des mythes, dans des mondes intemporels, dans les symboles de l’onirisme, dans le foisonnement du lyrisme, dans les ruptures baroques et dans les archétypes d’un cosmique imaginaire. Ou bien perdu soudain dans un monde littéraire qui, comme la Terre, courrait dans les ténèbres vers Alpha de la Lyre, il se trouve détaché des réalités et des logiques, s’éloigne des autres qui sont souvent incapables de le suivre là où il souhaite les attirer et refusent de s’évader dans le surréel ou de se laisser envoûter; lui-même,anxieux de ne pas sombrer dans un territoire romanesque qui l’entraînerait dans les gouffres de l’inconnu et le ferait peut-être basculer dans un pays d’où on ne revient pas. Alors il vire et il revient s’accrocher à son ciel, à sa demeure, à ses livres, à ses connaissances, au temps de l’humaine condition; et pour ne pas être aspiré à nouveau par les tempêtes du rêve, il s’introduit le plus loin possible dans l’Histoire, au sein de l’Antiquité, afin d’y trouver davantage encore nos genèses, nos structures, nos miroirs, nos matrices et nos tubéreuses.
 L’écriture d ’Alain Nadaud se plie à ce mouvement de repli;les épithètes tendent à disparaître,la syntaxe se fait concise et sage ,la cadence latine peu à peu resurgit,rythme le style et lui donne un classicisme dont on ne le croyait pas capable:métamorphose surprenante. Mais il saura bien qu’un jour il aura à nouveau besoin d’un envol,d’un éclatement,et qu’il repartira au loin sur les sentiers de l’ailleurs;il n’ignore pas non plus qu’il reviendra vers notre planète,afin de ne pas succomber aux sortilèges des gravitations universelles d’une imagination trop poussée.
 L’ivresse et le vertige
 Le roman historique ne serait-il pas la troisième voie souhaitée, la troisième dimension possible, le troisième temps plausible afin de ne plus subir l’ivresse et le vertige de ce bercement entre l’Histoire et  le Roman, s’abstraire d’un constant et double arrachement, rassembler enfin l’évasion du roman et la présence de l’Histoire, faire la synthèse entre ce qui appartient  personnellement au romancier et ce qui nous appartient à tous, fixer des personnages, qui auraient sans cela pris la fuite, aux ancres de l’Histoire, les encadrer dans des dimensions chronologiques précises, les faire évoluer dans des décors archéologiques confirmés. Ils garderont, ces personnages tirés de l’auteur, comme l’araignée s’arrache son fil , une substance, une essence où il se reconnaîtrait, mais ils seront contraints de mener une existence soulignée par des dates, marqués par des guerres, inscrits dans des faits, classés dans le synchronique et non plus dans l’uchronique .
 L’histoire de Louis Legrand
 Si le romancier emprisonne quelque peu ses personnages, il joue également avec l’Histoire, il la dompte, il l’entraîne vers ses intrigues, il  la soumet à certains désirs, à certaines volontés de ses personnages; il accouple le roman à l’Histoire, il réunit l’un à l’autre à mi-chemin de son propre parcours créateur.
Ainsi arrêtera-t-il, à travers le roman historique, ce balancement qui le lance sans cesse à deux extrémités, dans un mouvement de va-et-vient intellectuel et spirituel, à la fois incessant, passionnant mais parfois éprouvant. A mon sens, le roman historique est un point d’équilibre exemplaire, un moment de symétrie apaisant.
Une fois encore, Alain Nadaud nous invite à un voyage dans le tréfonds de l’histoire. « Le vacillement du monde », son dernier roman, est une escapade entre le Québec et la France, l’amour et la raison, entre la mesure des plaines et des cimes, des rivières et des fleuves, des latitudes et des longitudes, et la démesure des élans du cœur et  du corps. Que dire donc des mésaventures de cet infortuné personnage Louis Legrand, qui,à vouloir vraiment, s’amouracher de Laure, la fille du marquis de Versac , perdit le sud et le nord, « la boussole », le corps et le cœur. Poursuivi par la haine d’un marquis dont il avait séduit la fille, il ne lui restait plus alors que la fuite, l’arrestation,le jugement, l’entrée dans d’ordre des capucins de Dijon où il se consacra  jusqu’à la fin de sa vie à la construction d’un grand globe terrestre  minutieux et artistique (aujourd’hui conservé à la bibliothèque municipale de Dijon), ainsi qu’à un globe céleste malheureusement détruit lors d’un transport.
 D’un roman à l’autre, Alain Nadaud ne cesse de nous surprendre agréablement, tant au niveau de l’érudition que sur le plan du style. Un rythme haletant, à la limite de l’intrigue policière, à la manière d’un Umberto Eco in « Au nom de la rose ». Un style poétique (la page 50 et suivantes), scientifique où les multiples investigations tendant vers la confection du globe terrestre mènent l’auteur à mêler les sciences des terres et des mers, voire l’histoire et la géographie des mappemondes. Belle enquête en perspective !  Des pages 89 à 92, Alain Nadaud excelle dans l’art de confondre les images, à la manière des cinéastes,tout se joue en transparence et en filigrane ,l’une sur l’autre,l’inquiétude de Louis Legrand à propos de sa belle dulcinée et la description de l’univers,la terre et les astres. Belles images ! Belles réflexions : «il savait que, comme en littérature, on ne perd pas son temps en d’inutiles vérifications, du moment que la vraisemblance n’est point trop malmenée. Ou alors, il faudrait passer des heures à contrôler les propos des romanciers, et pour  y gagner quoi? Pour y déjouer quels pièges au juste ? On connaît trop la duplicité des auteurs, leur propension à nous malmener, à nous entraîner par des chemins de traverse. On fait vaguement le tri, au jugé, et parfois à l’inverse, on se gausse même de leurs erreurs supposées jusqu’à ce qu’il se révèle après coup qu’on avait tort et, eux, raison. C’est plutôt le plaisir de l’envoûtement qu’on cherche, ainsi que celui de se perdre dans les méandres du conte, non pas la vérité, dont l’ironie de l’histoire a montré que, sur les sujets  qu’on croyait les mieux assurés, elle a parfois tourné court. »

 Fathi CHARGUI

 *Le vacillement du monde  — Alain Nadaud – 125 pages – Editions Actes Sud – Février 2006

 

 

Le vacillement du monde — Roman d’Alain Nadaud  9782742758456

Publié dans:Non classé |on 1 octobre, 2012 |Pas de commentaires »

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