Les humeurs de Marie-Clair
Les Humeurs de Marie-Claire Roman de Habib Selmi
Parfum de femme
Il est surprenant parfois de vérifier combien la vie ratifie les pires conventions du vaudeville. Dans l’ivresse passionnelle surtout où, comme le disait ce bon Nietzsche « l’amour se situe au-delà du bien et du mal ». Diables et victimes jouent à cache-cache dans les romans de Habib Selmi la maldonne des sentiments se moque de l’ordre établi et s’achève en ricanement désabusé. Mezzo voce, un déluge wagnérien. Mais la vengeance du cœur se jouera par procuration. Deux êtres seront choisis arbitrairement pour servir d’instrument de libertinage, d’ustensiles aphrodisiaques, pour mener à bien des représailles sentimentales : Deux vendettas s’engagent. Tout d’abord, qu’est-ce qui pousse ce jeune Tunisien installé à Paris à faire la connaissance de cette fonctionnaire de la poste. Habib Selmi nous a habitué à ces passions secrètes « Le Mont – des – chèvres », « Les amoureux de Bayya », « La nuit de l’étranger », en lisière des mots, qui secrètent un climat « tout chose » au long de paysages désœuvrés, de dialogues en miettes. Là encore, il évolue au bord des êtres, dans la banlieue du cœur, dans ces parages indécis où la volupté et la fatalité se ressemblent comme deux larmes. Ce bref récit, tremble, ballotté par le caprice comme une coquille de noix sur le lac Léman, s’infléchit mollement vers une minutieuse machine infernale. Ce jeune homme universitaire disponible, vulnérable, suscite une étrange inclination de la part de l’employée des postes. Elle le couve, le materne, trop heureuse de mettre le grappin sur un pigeon de passage pour désennuyer son arrière-saison, puis le « congédie » brutalement, semblant rompre un charme maléfique. Téléguidé, manipulé, le jeune homme s’apercevra tardivement qu’il n’est que le pion d’une stratégie consommée. Le traquenard au béguin fonctionne à merveille. L’embuscade fervente d’une femme si fière, si raide, qui donnerait tout au monde pour retrouver le droit d’être sifflée. Qui se couchera tout à l’heure avec l’infime espoir que son homme se couche seul, lui aussi.
Le ton de Habib Selmi ressemble à l’appel nostalgique du premier violon. Une ligne mélodique, fine, ténue, une intimité qui tolère le silence. La vie, un petit mot d’une syllabe, presque un soupir. On songe au calme plat des jours. Discret, pudique, butinant des esquisses de regards, des brouillons d’étreintes, il nous abandonne sans cesse aux bords du dénouement. Parce qu’il en va ainsi de la partie d’échecs du glamour. On doit toujours l’achever seul. L’écriture de Habib Selmi est un navire qui, simultanément gagne le large et reste à quai. Il engrange l’essentiel et charrie volontiers le moindre. L’amour fait des bulles, les amoureux s’escamotent à la manière de décors de carton-pâte, ne reste que l’infortuné Lancelot du lac, rabibocheur de couple malgré lui, coincé entre ses espoirs furtifs, et ses attentes navrées. Habib Selmi est quelqu’un de rare et précieux : son univers romanesque, floué, de guingois, accroît prodigieusement, jusqu’au vertige, la faculté pour le lecteur de se distraire du réel. Le livre refermé, nous nous étonnons d’être encore en vie.
FATHI CHARGUI
Les humeurs de Marie-Claire de Habib Selmi — 174 pages — éditions Actes-Sud — avril 2011
